Les organisations de la société civile font l’objet d’attaques à travers le monde. Tel que l’ont récemment décrit le quotidien The Guardian et les réseaux comme CIVICUS, ces dernières années, les gouvernements ont multiplié leurs efforts afin d’entraver la capacité des organisations locales à fonctionner et de limiter leur accès aux fonds extérieurs. En parallèle, l’aide au développement exacerbe souvent les contraintes qui affectent les organisations de la société civile car elle favorise des financements réduits et à court terme, aux dépens des investissements dans les salaires et les frais généraux, et impose des exigences onéreuses en matière d’établissement de rapports.
Dans son rapport annuel 2015 sur l’état de la société civile à l’échelle planétaire, CIVCUS observe à juste titre : « Il n’est pas surprenant que la société civile des pays manque de capacités pour s’opposer aux attaques dirigées contre l’espace civique si les bailleurs ont systématiquement sous-investi dans les organisations locales. »
La société civile est confrontée à ces menaces croissantes alors qu’elle a plus que jamais besoin d’investissements. De la mise en œuvre des résultats à Paris à la mise en marche des nouveaux objectifs de développement durable, la société civile – tant dans son rôle puissant de vecteur de changement que de veille – tiendra une place centrale. Il conviendra donc impérativement de trouver des moyens de mieux renforcer et appuyer les organisations locales, pour leur permettre de réagir face à un ensemble croissant de menaces tout en réalisant toujours plus de résultats. Nous mettons en lumière quatre piliers prioritaires pour relancer la société civile locale à cette fin.
Orienter le « renforcement des capacités » sur la durabilité à long terme et non sur les exigences en matière d’établissement de rapports
La pratique actuelle du renforcement des capacités dans le domaine du développement vise généralement à aider les organisations à satisfaire aux exigences des divers bailleurs en matière de gestion financière. Le renforcement des capacités prend souvent la forme de formations ponctuelles qui se concentrent sur l’établissement de rapports, la gestion financière et les systèmes administratifs, alors que les éléments qui conduisent à la réussite de l’organisation et à sa durabilité sont rarement étudiés. La conformité avec les sources extérieures ainsi que l’établissement de rapports ont généralement préséance mais les activités permettant aux organisations locales d’avoir une vision, un but et une stratégie clairs ; une communauté active et engagée ; et un mode de financement durable sont souvent reléguées au second plan. De plus, ces questions plus profondes se prêtent moins bien aux formations génériques à court terme. Pour que les capacités puissent être renforcées sur la durée, les investissements doivent davantage cibler la santé pérenne et les priorités des organisations.
Investir dans les organisations et les mouvements, pas uniquement dans les projets
Certains bailleurs privés tels que les réseaux de type « charity business » préconisent de commencer à appuyer les organisations sur le long terme plutôt que de favoriser les courts projets ponctuels. Le Président de la Fondation Ford vient d’annoncer que son organisation s’engageait à mieux appuyer le fonctionnement général des groupes de la société civile dans le cadre d’un engagement visant à « renforcer les organisations différemment et de façon plus durable. » Les bailleurs de tous types doivent abattre les cloisons qui les séparent, apprendre les uns des autres et adapter des modèles et pratiques progressifs sur l’ensemble des domaines du développement et de l’environnement.
Améliorer les partenariats Nord-Sud pour raffermir l’autonomie et l’impact au niveau local
Les organisations internationales jouent de plus en plus le rôle d’intermédiaire entre les agences de développement du Nord et les organisations de la société civile locales. Ces partenariats peuvent fournir aux organisations locales un accès, une influence et des ressources essentiels par le biais de partenariats et de réseaux à long terme mais ils risquent néanmoins d’éroder l’autonomie, l’objectif et l’énergie des organisations.
Dans le but de renforcer la société civile au niveau planétaire, il convient tout d’abord de tirer les leçons des partenariats de réseaux innovants entre le Nord et le Sud et de remettre en question les raisons et le fonctionnement de base de ces relations dans un contexte mondial qui ne cesse d’évoluer.
Repenser les modèles commerciaux des organisations
Enfin, les discussions portant sur les capacités organisationnelles doivent impérativement inclure les questions plus profondes afférentes à la redevabilité vis-à-vis des destinataires des actions, au sentiment d’appropriation et à la pérennité financière. Les organisations de la société civile qui manquent de liens avec les citoyens et les communautés et qui dépendent majoritairement de financements étrangers se trouveront dans une situation de plus en plus précaire. D’autres modèles de financement structurés par adhésion, revenus d’activité, fonds de dotation ou entreprises sociales tiennent une place de plus en plus centrale dans les discussions axées sur les capacités organisationnelles et ils sont finalement tout aussi importants – voire plus – que les types de capacités administratives qui font généralement l’objet des interventions de développement des capacités.
Alors même que les évolutions et les pressions sociales et environnementales s’accélèrent, une société civile robuste et résistante constitue la clé du réel changement. Mais pour contrecarrer les menaces croissantes qui pèsent sur les groupes de la société civile à travers le monde, il nous faut repenser l’appui apporté aux organisations locales, la conceptualisation et l’amélioration dynamique des capacités, de même que la manière d’aborder les menaces à long terme pour la durabilité et les performances organisationnelles.
Cath Long est directrice de Well Grounded, une organisation non gouvernementale à but non lucratif immatriculée au Royaume-Uni qui soutient les organisations de la société civile en Afrique dans leur développement organisationnel pour qu’elles obtiennent des effets concrets et durables en matière de gouvernance des ressources naturelles et des droits des communautés.
Fred Nelson est directeur exécutif de Maliasili Initiatives, une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis qui œuvre en faveur de la croissance, du développement et de la performance d’organisations de la société civile et d’entreprises sociales de premier plan en vue de promouvoir des pratiques de gestion durable des ressources naturelles en Afrique.