« Tout ce que tu fais pour moi sans moi, tu le fais contre moi…» disait Gandhi. Une expérience que j’ai vécue récemment m’a fait penser à ça. J’ai facilité un processus stratégique avec une organisation que nous accompagnons. Le directeur exécutif de cette organisation m’a confié ceci à propos d’un processus de planification stratégique qu’ils ont eu : « Nous avons fait un processus de planification stratégique en 2008, cela a été comme une parenthèse dans notre évolution, ce n’était pas le moment approprié et nous n’avions jamais demandé ça. Notre partenaire était soucieux de notre développement et voulait identifier nos forces et faiblesses à travers ce processus. Il voulait aussi que cela débouche sur un plan de renforcement de capacité, mais c’était son idée, son projet, pas le nôtre. C’était contraignant et comme une épée de Damoclès de l’extérieur. ».
Cette discussion avec lui a soulevé quelques questions chez moi :
- Est-ce que nos intentions suffisent pour que l’aide qu’on apporte fasse du bien, que l’appui qu’on offre apporte un changement aux personnes que nous aidons ?
- Et si nos interventions étaient plutôt fatales (frein au changement) malgré toute la bonne volonté et l’engagement que nous avons ?
- Comment faire pour être constamment conscient de notre « empreinte humaine et sociale » ?
Dans le secteur du développement, combien de fois nous nous réunissons dans nos bureaux pour développer des stratégies et planifier les actions à mener en faveur des « bénéficiaires », pour améliorer leurs conditions de vie ? Combien de fois nous développons des projets loin de ceux pour qui nous le faisons? N’est-ce pas avec un esprit altruiste et des bonnes intentions que nous le faisons ?
Nous n’arrêtons pas de dire que « ces personnes » (les bénéficiaires) ont pris l’habitude du « gratuit », n’ont pas d’initiative et ne prennent pas en main leur destin. Et c’est vrai ; nous avons parfois raison de le penser. Dans beaucoup de cas, on a du mal à voir le changement. De nombreuses voix critiquent l’aide au développement et elles montrent qu’il y a souvent très peu de résultat, pas vraiment d’efficience, des fonds perdus, du gaspillage, pas d’appropriation, pas de durabilité, disproportion du rapport coût-efficacité, pas de transfert de compétences, etc.
N’est-il pas temps de s’arrêter quelques instants et de regarder les choses sans se voiler la face ? Vouloir le bien être de l’autre ; décider de ce qui est bien pour lui ; supposer que nous avons une meilleure connaissance de ce qui est bien pour lui ; s’inquiéter pour lui, etc. C’est ce que Nancy Kline appelle « INFANTILISATION » dans son livre «Time_to_Think ». L’infantilisation c’est, en d’autres termes, vouloir profondément le bien-être de l’autre tout en voulant profondément se rendre indispensable même inconsciemment.
L’infantilisation est souvent faite au nom d’une bonne cause avec l’excuse de venir en aide à l’autre. Dans le secteur du développement, on le remarque à tous les niveaux : aide bilatérale, la relation bailleurs de fonds et organisations non gouvernementales (ONG), ONG internationales et ONG nationales, ces derniers et les communautés, etc. Au sein des organisations, on le remarque l’infantilisation dans le style de leadership et la relation au sein des équipes.
L’infantilisation empêche les gens de penser et d’agir pour eux même. Elle est donc un frein au développement à tous les niveaux : sociétal, organisationnel et individuel. Et si on décidait de simplement démancher aux gens ce qu’ils veulent ? D’aider les gens à décider pour eux même ? Et si on utilisait cette volonté d’aider en étant vraiment là pour comprendre ce que les gens considèrent comme leur priorité ? Créer un environnement qui permette aux gens de penser par eux même est l’attitude à avoir à tous les niveaux. C’est un nouvel apprentissage, une nouvelle compétence à acquérir et nous en avons tous besoin.
Je me suis décidé de me poser toujours les trois questions suivantes avant toutes interventions :
- Pourquoi je veux aider cette personne/cette organisation ?
- Qu’est-ce que cette personne/organisation veut vraiment ? Qu’est-ce qu’elle considère comme priorité ?
- Comment peut-elle être aidée ? Qu’est-ce qu’elle peut mettre en place pour ne pas toujours avoir besoin de moi ?
Et vous, comment faites-vous pour vous assurer de la pertinence de votre appui ? (La page des commentaires est ouvertes pour cela !)