Lorsqu’un donateur lance un appel à propositions, le délai entre la soumission de la proposition et le début du projet peut généralement prendre de 6 mois à un an. Cela suppose que les circonstances soient restées les mêmes – ce qui est évidemment faux !
De plus, les organisations disposent souvent de peu de temps et de moyens pour rédiger des propositions. Bien sûr, elles connaissent leur travail, leurs objectifs et leurs enjeux, mais rédiger une proposition est un savant mélange entre les besoins réels sur le terrain, les capacités et les choix de l’organisation et les directives des donateurs. De tout cela émerge un projet, basé sur des hypothèses et des priorités correspondant à un moment donné. Que valent ces hypothèses six mois ou un an après ?
Il serait intéressant de les tester, de les confronter à la réalité, de les affiner, de les améliorer et de les questionner. Malheureusement, l’organisation s’est engagée à mettre en œuvre les activités X, Y et Z, avec un budget défini et dans un délai fixé. Quel défi !
Limitation des capacités d’apprentissage
Bien que cette approche soit compréhensible d’un point de vue administratif et comptable, elle entrave la capacité d’analyse et d’adaptation d’une organisation lorsqu’elle est confrontée à un problème. En réalité, les organisations sont obligées de mettre en œuvre les activités prévues, en croisant les doigts pour que le résultat soit celui attendu à la fin du projet.
Bien sûr, certains donateurs vous diront qu’ils sont à l’écoute, qu’il est possible de changer les objectifs ou d’adapter les activités. En réalité, de nombreuses organisations ne se sentent pas autorisées à le faire, car cela pourrait être considéré comme une mauvaise anticipation et planification.
Lors de la mise en œuvre de projets à marche forcée, les organisations ne développent pas leur capacité à poser des questions, à obtenir des commentaires des participants ou à rechercher de nouvelles solutions. On a dit qu’on ferait ça, alors on doit s’y tenir ! Cette approche valorise les chefs de projet, des personnes capables de tenir un budget et ayant des capacités de reporting, mais cela ne favorise pas l’apprentissage ou l’innovation. Dans un monde aussi complexe, qui évolue à un rythme toujours plus rapide, nous devons valoriser les tests et le droit à l’erreur.
L’approche du secteur privé
Prenons un moment pour examiner les nouvelles méthodologies provenant du secteur privé. Le plan d’affaires proposant une projection financière à 5 ans a bien fonctionné. Il est utilisé par les banquiers, par exemple pour financer une boulangerie ; une activité stable dans un environnement stable. Toutefois, dans le domaine de l’innovation, lors de la création de nouvelles activités répondant à de nouveaux besoins, les méthodes émergentes sont le « Design thinking », « l’Agilité », le « Lean Start-up ». Qu’ont-elles en commun? Le fait d’accepter qu’au début d’un projet, il y a beaucoup d’inconnus et de risques, et qu’il est impossible de tous les identifier. Nous évoluons en territoire inconnu. Ce qui compte, c’est de commencer doucement, de tester une idée, d’apprendre, de la remettre en question, de pivoter, d’aller dans une autre direction et d’avancer. L’erreur n’est pas une fatalité, mais une étape nécessaire vers une solution viable. En fait, l’erreur serait de planifier un projet pendant un an, de développer une solution et de découvrir à la fin de cette année que, de toute évidence, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
Cette approche par étapes est probablement la plus naturelle pour l’homme et la plus efficace : c’est ainsi que les civilisations se sont développées. Evidemment, elle est moins confortable pour les donateurs car elle demande flexibilité, adaptabilité, acceptation de l’inconnu et des erreurs. Compte tenu des coûts humains, sociaux et environnementaux de tous ces projets, il convient de se demander : est-ce aux organisations de s’adapter aux règles administratives rigides des bailleurs de fonds ou est-ce plutôt aux bailleurs de s’adapter au monde complexe qu’ils souhaitent améliorer ?