Les organisations de la société civile peuvent influencer la législation de façons très différentes, à travers le lobbying, la réalisation de campagnes, la recherche, la présentation de propositions, etc. Une approche efficace est le travail en direct avec les personnes qui créent les lois, et de les soutenir dans le développement de textes qui deviendront force de loi.
La Dynamique des Groupes des Peuples Autochtones (DGPA) a appliqué cette méthode avec un grand succès en République Démocratique du Congo. Ils ont été considérablement impliqués dans la présentation d’un projet de loi concernant les droits des populations autochtones devant le parlement congolais, ce qui aurait été impensable il y a seulement 15 ans. La loi n’a pas encore été votée, mais le fait même qu’elle soit en débat est un succès digne d’être célébré, et le processus qui y a conduit est en lui-même fascinant.
La DGPA est un réseau qui a été créé pour défendre et promouvoir les droits des populations autochtones en RDC. En réfléchissant au problème fondamental (le fait que les populations « pygmées » sont discriminées sur tous les fronts) la DGPA a exploré toutes sortes de solutions possibles, incluant différentes stratégies locales : soutien aux populations autochtones et aux autres communautés locales pour aborder la discrimination à travers une « coexistence pacifique » négociée ; aide aux communautés pour cartographier leurs territoires traditionnels et documenter leurs riches savoirs ; développement de projets pratiques permettant aux personnes de gagner et de conserver leur propre argent ; accès à l’éducation pour les enfants autochtones.
Cependant, ils ont constaté que les problèmes de fond persistaient : les fonctionnaires et responsables ignoraient les comportements discriminatoires, ou y cédaient eux-mêmes. Pour la DGPA, la solution était d’aller jusqu’au sommet. S’ils réussissaient à provoquer un débat sur les droits autochtones chez les législateurs congolais, et s’ils pouvaient leur faire passer une loi qui protégerait spécifiquement les droits de base de ces populations, ils savaient que cet outil serait immensément utile.
Ils ont donc commencé par trouver des alliés au sein du parlement, et ont réussi à convaincre des députés de l’importance du problème. Lentement mais sûrement, ils ont développé des liens et ont rassemblé les députés dans un groupe non aligné pour s’attaquer à la discrimination. Après un très important travail de recherche et de consultation auprès des communautés, d’activistes autochtones et d’experts légaux, facilité par la DGPA et financé en grande partie par Rainforest Foundation Norvège, le groupe de députés a commencé à développer une première version d’un texte de loi, qui a ensuite nécessité le consentement libre, préalable et éclairé des citoyens autochtones. C’est à ce moment que le processus est devenu réellement passionnant : la DGPA a réussi à convaincre des députés de passer chacun 10 jours dans des communautés autochtones à travers tout le pays, à échanger en profondeur avec elles à propos de leurs peurs et leurs espoirs, et à discuter comment la loi pourrait aborder ceux-ci. Les équipes, faites de députés, de membres de DGPA et d’autres activistes autochtones appartenant à des réseaux congolais, ont utilisé des kits incluant des dessins et des activités, développés dans les quatre langues officielles congolaises et utilisant également de nombreuses langues locales (on estime qu’il existe 500 langues en RDC…), afin d’aider les populations à comprendre comment les préoccupations qu’elles avaient exprimé se traduisaient dans la législation, et à changer et adapter les textes si elles en identifiaient le besoin. Tous sont retournés à la capitale enthousiasmés par le projet de loi, qui avait maintenant l’accord d’une bonne représentation des communautés autochtones.
Ce qui est si impressionnant dans cette action de la DGPA est qu’ils ont vu grand. Ils ont identifié le besoin d’une nouvelle législation et se sont simplement mis au travail pour que celle-ci soit créée. Ils ont trouvé des alliés, les ont soutenus avec une information documentée et provenant de sources sûres, et s’en sont tenus à leur principe que toute législation affectant les personnes pour et avec lesquelles ils travaillent implique la participation et l’accord de ces personnes. Le résultat final est un texte de loi qui, lorsqu’il sera voté, sera un outil extraordinaire pour la défense des communautés et le modèle d’un processus dont la RDC pourra être fière. Les membres de la DGPA et leurs alliés ont tenu le coup contre vents et marées, répétant sans cesse patiemment leurs arguments, en restant fidèles à leurs principes fondamentaux. Même si la loi n’était jamais votée, l’implication des femmes et des hommes de communautés isolées dans la réflexion sur une législation complexe, et le fait que des députés aient eu envie de quitter leurs confortables bureaux pour écouter l’expertise des gens sur le terrain et d’agir pour que les recommandations de ces personnes deviennent loi, apportera assurément de vrais bénéfices dans le futur.
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