Derrière les concepts populaires, de vrais déséquilibres subsistent
Travaillant longtemps avec des ONG européennes liées à l’Afrique, j’ai souvent été gêné par le rapport vertical inavoué, et par le déséquilibre qui se produit souvent entre une ONG du Nord et une organisation partenaire du Sud.
Les ONG du Nord, et les bailleurs de fonds, veulent mettre en œuvre les projets et programmes dont ils ont la charge et répondre aux problèmes qu’ils ont identifiés comme prioritaires en proposant les réponses qu’ils jugent les plus pertinentes et les plus urgentes.
Aujourd’hui, on a tendance à consulter les ONG du Sud et à les faire participer à la conception des projets, à créer une « appropriation » … Cependant, les financements viennent encore majoritairement du Nord, et transitent généralement par les ONG du Nord. Et quand on est une ONG du Sud, plutôt que de prendre une position originale, ou d’articuler des désaccords, on a tendance à dire ce qui fait plaisir au porteur de fonds.
Un accompagnement qui peut être limitant et biaisé
Avec nos « bonnes intentions d’aider », nous partons du principe que les ONG du Sud ne sont pas capables de donner par elles-mêmes un sens à leur action, qui devient alors une « prophétie auto-réalisatrice ». Si je ne vous considère pas capable ou autonome, et cela se voit dans la manière dont j’interagis avec vous, je vous pousse vers une réelle incapacité ou absence d’autonomie, et donc vers une absence de souveraineté. Et tout cela en me félicitant, en prononçant des mots de responsabilisation, d’appropriation… sans me rendre compte que mon modèle d’intervention pourrait donner le résultat inverse.
À ma connaissance, il est encore inhabituel que les acteurs du Nord prennent en considération dans un premier temps ce que les acteurs du Sud veulent réellement faire pour faire avancer les choses sur leur propre territoire. Et même lorsqu’ils en sont conscients, ces acteurs du Nord arrivent souvent avec leurs projets conçus au Nord, car ces projets leur permettent de valoriser leur savoir-faire et de gagner en légitimité. Les partenaires du Sud sont alors peu associés à la conception technique et financière initiale.
Si l’appui organisationnel est mis en œuvre par les ONG du Nord pour leurs partenaires du Sud, il est souvent biaisé car orienté vers la mise en œuvre de ces projets.
Je crois que ce processus contribue à la création d’une bureaucratie associative, à une perte d’engagement et à un affaiblissement du leadership associatif. Il ne faut plus avoir de cran pour créer une ONG : on peut en ouvrir une comme on ouvrirait un magasin, pour se garantir un emploi. Nous identifierons les acteurs que nous devons contacter pour obtenir un financement et nous nous adapterons à ce qui les rend heureux concernant notre territoire. L’alignement avec des valeurs, avec une vision pour notre pays, peut venir après la nécessité de faire marcher l’ONG, de « gagner des projets ». Nous serons d’accord avec tout ce que suggèrent les bailleurs de fonds internationaux et les ONG, de peur de déplaire et de devoir mettre la clé sous la porte par manque de financement.
Aujourd’hui, je suis un praticien OD. Je choisis de travailler dans des conditions qui permettent à l’organisme soutenu de garder sa liberté et la responsabilité de ses choix et de ses orientations, avec l’aide de ma facilitation. J’ai voulu tendre vers une réelle neutralité de l’accompagnement, privilégiant la posture du « compagnon » plutôt que celle du « savant » formulant des recommandations qui seront peu suivies si elles ne suscitent pas un accord total et exhaustif.
Cependant, dans le contexte décrit ci-dessus, j’ai du mal à apporter un soutien organisationnel « libéré » de cet état d’esprit, car les organisations avec lesquelles je travaille ont tendance à attendre de moi cette posture élevée ; une posture d’expertise, en décalage avec l’approche maïeutique que j’apporte. Même en clarifiant cette approche, et en insistant sur le fait que l’organisation dispose des ressources nécessaires pour répondre à ses propres besoins, l’attentisme est profondément enraciné. Même dans un processus de DO qui se veut neutre, j’entends des phrases telles que « qu’attendez-vous de nous ? » Ou pour articuler les attentes d’un atelier, « tout ce que vous pouvez nous apporter », « dites-nous comment nous devrions faire mieux »…
Comment se débarrasser de cette relation limitante ?
A quel moment pourrait-on réussir à établir des relations égalitaires, avec un véritable leadership associatif dans le Sud, qui permettraient aux ONG locales de prendre la place qui leur revient sur leur territoire ?
Et surtout, sommes-nous sur la bonne voie pour y arriver ?