S’il nous arrive d’assimiler une organisation à une structure, à quelque chose de plus ou moins permanent, les organisations ne sont, bien entendu, jamais des objets statiques. Ce sont toujours des processus en cours – leurs visions changent, tout comme leurs missions, leurs structures, leurs activités, leurs bailleurs de fonds et leur personnel. L’une des leçons qui m’a le plus servi c’est que, pour véritablement apprécier la nature du processus et du changement au sein d’une organisation, j’ai dû apprendre à regarder le monde d’une manière très différente. Un point important de cet apprentissage a été de réaliser que toute chose est en lien et qu’il est essentiel de comprendre et de travailler avec ces relations pour le développement organisationnel. Les relations peuvent être entre les membres du personnel, entre les membres du personnel et leur organisation, entre les membres du personnel et les bailleurs de fonds, entre l’organisation et ses clients, etc. À mes yeux, l’une des meilleures façons de comprendre et d’apprécier ces liens et leur façon d’évoluer est de faire la conversation.
Une conversation n’a rien à voir avec une discussion, et si les deux sont importantes, elles ont des qualités très différentes. Les discussions sont fréquemment utilisées dans la planification et la prise de décisions ; différents points de vue sont jaugés ; on pèse le pour et le contre d’une trajectoire particulière et cela peut impliquer une forme de jugement. Le but est souvent d’arriver à une forme quelconque de conclusion. L’objet d’une conversation, en revanche, est l’exploration et une appréciation plus approfondie d’un sujet ou d’une situation. Il n’y a ni jugement, ni la moindre intention d’arriver à la « bonne » réponse, car dans une conversation, il n’y a pas de « bonne » réponse. Il n’y a pas un tableau de conférence qui vous attend pour y tracer les « prochaines étapes » même si de nouvelles opinions peuvent vous inciter à envisager de nouvelles façons de faire les choses.
Lorsque vous participez à une conversation, deux compétences se révèlent particulièrement importantes. La première est de savoir écouter d’une façon différente, en faisant preuve d’une ouverture d’esprit et d’une volonté d’entendre réellement ce que votre interlocuteur est en train de dire sans critique ni jugement. Il ne s’agit pas d’attendre impatiemment son tour pour prendre la parole ni d’écouter dans le but de pouvoir rebondir avec un argument. L’autre compétence est l’aptitude à parler en toute sincérité – aussi honnêtement que possible, à partir de ses propres expériences et de sa vision du monde. Il s’agit de partager nos avis et notre entendement avec nos interlocuteurs, non pas pour les convaincre et les rallier à notre point de vue mais plutôt pour conforter la richesse de l’histoire qui prend vie et grandit et mûrit du fait de l’écoute de tous les participants. Durant ce processus, il peut se révéler particulièrement utile de poser des questions et savoir poser la bonne question au bon moment est une autre compétence précieuse à cultiver.
Lorsque je facilite une conversation, je commence par demander aux participants de passer un peu de temps repliés sur eux-mêmes, à clarifier leurs propres pensées sur le sujet ou la question à traiter, peut-être en prenant quelques notes. Ce temps est important, car il est difficile de converser avec un tiers si l’on n’a pas d’abord ordonné ses idées. Ensuite, je demande aux participants de se mettre en binômes ou en groupes de trois et d’entamer une conversation, en s’exprimant à tour de rôle. Cela permet à chacun de partager ce qu’il a à dire dans un espace plus restreint, plus sûr. C’est seulement une fois que chacun a eu la chance d’écouter et de s’exprimer de cette façon que je demande aux participants de revenir en plénière pour poursuivre la conservation.
J’ai toujours trouvé les conversations profondément gratifiantes. Les participants en tirent invariablement de nouvelles impressions, et bien souvent finissent par se voir, eux-mêmes et les autres, différemment – plus de compréhension, plus d’acceptation de qui sont réellement les autres. Il arrive que les participants me disent que c’est la première fois qu’ils ont l’impression d’avoir été véritablement écoutés. Par ailleurs, des situations organisationnelles tendues peuvent être désamorcées car les conversations aident les collègues à entendre des choses qui vont au-delà de ce qui semble être le problème immédiat et à comprendre le problème sous un meilleur éclairage.
Je ne saurais prétendre que les conversations sont le seul mode d’engagement requis dans une organisation ; il y a évidemment une place pour une large gamme de façons de parler et d’écouter. Ce que je veux dire, c’est que nous avons tous besoin de prendre du temps, au sein de nos vies organisationnelles affairées, pour ralentir, pour écouter véritablement les autres et pour apprendre à parler avec notre cœur. Pour toute personne désireuse de s’entraîner à l’art de la conversation, je conseille cette excellente ressource : Block, P. (2008). Community. The structure of belonging. San Francisco, Berrett-Koehler Publishers.